L’ensemble Le Consort fait entendre des cantates françaises non enregistrées, entrelacées avec des sonates plus connues et magnifiquement choisies. Lire ces cantates de Travenol, Montgaultier – dont on ne connait pas même le prénom – et Lefebvre met en appétit. On les espère bien vite disponibles à entendre : la musique est riche, intéressante, touchante. Il est étonnant que ces partitions pourtant bien accessibles aient jusqu’ici dormi à la Bibliothèque Nationale sans que d’autres interprètes ne s’en soient saisis ! Le séminaire sur la Cantate en France au 18ème, impulsé par le Centre de Musique Baroque de Versailles et la Fondation Royaumont n’est sans doute pas étranger à ces très belles redécouvertes...
L’amour charme les cœurs des protagonistes de ces cantates, vainqueur tant de la misanthropie sous la plume de Montgaultier que de la superbe sous celle de Travenol ou de la triste résignation sous celle de Lefebvre. Ces tendres sentiments se déploient à merveille dans la cantate et la cantatille, où la brièveté comme le petit effectif instrumental permettent une expression d’autant plus efficace qu’elle est condensée. La nature est le cadre privilégié d’idylles qui se nouent au son de pépiements d’oiseaux dont la volubilité ferait pâlir d’envie ceux du Printemps de Vivaldi.
Les Italiens ne sont d’ailleurs pas pour rien dans cette vogue de la sonate en trio et de la cantate en France au début du XVIIIème siècle, nées en Italie avant de se s’allier à l’esthétique musicale et poétique françaises dans les dernières années du règne de Louis XIV, pour in fine vaincre toutes les réticences et de charmer les sens des contemporains de Rousseau.
« Formons de doux noeuds »
Dans les années qui suivent la mort de Lully, la vogue de la musique italienne, Corelli en tête, met Paris en émoi. Les compositeurs français s’en saisissent, et parviennent à nouer intimement la déclamation française au genre italien de la cantate (de cantare, chanter) ainsi que la rythmique des danses versaillaises au genre tout aussi transalpin de la sonate (de suonare, sonner, c’est-à-dire jouer d’un instrument). Dornel compte parmi les premiers séduits, et ses Suittes en trio de 1709 témoignent des premiers temps de ce mariage : elles se coulent dans l’effectif de la sonate en trio à l’italienne, pour deux dessus et basse continue, mais se nomment suites et sont constituées de danses, comme c’est le cas des recueils de clavecin français.
Les sonates en trio (ca. 1705) de Dandrieu reprennent la coupe des sonates à l’italienne, en faisant alterner des mouvements lents adagio avec des mouvements rapides allegro. Organiste et claveciniste, il maîtrise à la perfection l’écriture fuguée, comme celle du premier allegro de la sonate en sol mineur dans lequel toutes les voix instrumentales dialoguent à égalité. Il compose des mouvements lents d’une grande expressivité, dans lesquels les sons sont étirés sur les harmonies qui leur succèdent, créant des tensions magnifiques et suspendues.
La lumineuse sonate La Félicité de Clérambault est probablement composée dans ces mêmes premières années du XVIIIème siècle. Plus légère et aimable que la sonate en sol de Dandrieu, elle fait preuve d’un italianisme différent, davantage centré sur la virtuosité du violon. La réputation de Clérambault en tant qu’organiste et compositeur de cantates surpassait en son temps celle de tous les autres : Travenol, Mongaultier comme Levebvre furent tributaires de l’union des styles français et italien qu’il parvint à y sceller.
« Petits oyseaux, par vos tendres accents… »
Le ramage du rossignol illumine la cantatille de Lefèbvre et la cantate de Travenol, emblématique autant de l’atmosphère pastorale que des sentiments qui y naissent entre les bergers protagonistes de ces heureuses rencontres amoureuses. La cantate, souvent assimilée abusivement à un opéra miniature – la cantatille est en ce cas une miniature de la miniature – n’est en réalité pas vraiment une forme dramatique mais plutôt un moment presque chambriste qui permet de faire entendre des situations d’énonciation musicales les plus variées possibles en un temps record. La cantate est au mitan du siècle définie comme un poème qui, « dans un assez court espace, réunit les qualités de tous les genres, le merveilleux de l’épopée, les passions favorites de la tragédie, l’enthousiasme de l’ode pindarique, le gracieux de l’ode anacréontique et l’harmonie de la musique. » (Discours sur la poésie lyrique, 1761)
La cantate de Travenol, à qui ses talents de lettré permettent de construire un texte à la mesure de ses envies musicales, est un modèle du genre : en quelques minutes elle fait se succéder un sommeil, des oiseaux, des musettes et une chasse, soit tout ce qui se peut faire entendre de plus coloré et aisément identifiable dans le cadre d’une pastorale.
Le rossignol, qui chez Levebvre est incarné par force trilles, ornements et vocalises du violon et de la voix, est chez Travenol mis en musique par les roucoulades du violon que maniait parfaitement le compositeur, membre de l’orchestre de l’opéra.
Ils sont précédés d’un doux sommeil dans lequel les mélodies planent et s’entrecroisent au-dessus d’une riche partie de basse, à la fois si français dans sa manière de faire intervenir la figure de Morphée, et italianisant dans sa forme empruntée à l’aria da capo et la vélocité du violon.
La première musette évoque presque la vièle à roue, en vogue dans les salons de l’époque, puis la chasse victorieuse qui clôt la cantate avec des archétypes musicaux si marqués que l’on croirait entendre une fanfare d’instruments à vents, achève d’ancrer la cantate dans les verts pâturages.
« Chantons l’amour, célébrons sa victoire ! »
La cantate française n’est pas tragédie : la gloire des grands ne prévaut pas sur l’amour, qui vainc toujours au doux pays de Mirtil et Amarilli. Ils sont incarnés par une seule voix qui chante leurs émois, alternant récits et airs, sur tous les tons, jouant des modulations de la voix, du contrechant des violons, des nuances douces et fortes pour dessiner les péripéties qui mènent à l’amour. Chacune des cantates débute dans une solitude présentée par le locuteur comme enviable : « aimable solitude, azile de la nuit » chez Mongaultier, « dans un azile solitaire » dans La fierté vaincue par l’amour, mais deux ou trois trilles de rossignol ont tôt fait de l’en tirer avec délectation, tant est vive la puissance de l’amour que célèbrent ces cantates.
Louis-Antoine Lefebvre (ca. 1700 – 1763), Le bonheur imprévu (1748), cantatille à voix seule avec symphonie
Louis-Antoine Dornel (ca. 1680 – après 1756), Livre de simphonies contenant six Suittes en trio (1709), Suitte 3 op. 1
Louis-Nicolas Clérambault (1676 – 1749), Sonate « La Félicité » (s.d.)
Mongaultier (Demontgaultier, Montgaultier, Montgaulthier, de Montgauthier) (avant 1730 – après 1773), Les adieux de la mélancolie (1748), cantate à voix seule avec symphonie
Jean-François Dandrieu (1681/82 – 1738), Livre de sonates en trio (1705), Sonate n°3 en sol mineur
Louis-Antoine Travenol (1698/1708 – 1783), La fierté vaincue par l’amour (1734)
Pour citer ce texte : Constance Luzzati, D’un coeur charmé, note de programme, Philharmonie de Paris, 28 novembre 2022.
Pour un autre texte sur un autre très beau programme joué par Théotime Langlois de Swarte et Justin Taylor, c’est par ici.