Versailles rêvé

Le goût de Couperin

Les clavecinistes français n’ont jamais été tout à fait oubliés, comme en témoigne le jeu perlé qui en est tributaire et a dominé l’esthétique du piano français jusqu’à Marguerite Long et Yvonne Lefébure.

Pour les curieux, le Conservatoire de Paris a produit un documentaire passionnant sur les origines du jeu perlé, ICI

Les pianistes français qui l’ont développé, à la fin du XIXesiècle et au début du XXe, sont également ceux qui ont promu le répertoire de clavecin : Camille Saint-Saëns et Louis Diémer, dont les transcriptions pour piano incluent les délicats Roseaux de Couperin. C’est à travers ces éditions que Debussy et Ravel ont pu goûter Couperin et Rameau.

Elles sont graphiquement assez différentes de celles dont François Couperin a supervisé la gravure deux siècles plus tôt : elles écrivent les ornements en toutes notes, ajoutent des nuances et des liaisons.


La Sonatine de Ravel, achevée en 1905, rend un lointain hommage à la musique ancienne, par sa concision, par la structure clairement dessinée de ses mouvements, par l’élégance et la légèreté de l’écriture, et par le jeu perlé qu’elle requiert. Le mouvement central, Menuet, évoque plus nettement la musique ancienne, et fait écho aux autres menuets de Ravel, dont celui du Tombeau de Couperin, orné, rythmé et structuré comme une pièce de clavecin.

Quant à Claude Debussy, il voue une admiration égale à Rameau, quintessence d’une tradition française « faite de tendresse délicate et charmante, d’accents justes, de déclamation rigoureuse dans le récit, sans cette affectation à la profondeur allemande »  et Couperin, citant plusieurs de ses pièces comme un symbole de l’esprit :

« Nous avons besoin de méditer l’exemple que nous proposent certaines petites pièces de Couperin ; elles sont d’adorables modèles d’une grâce et d’un naturel que nous ne connaissons plus. Rien ne peut faire oublier le parfum sournoisement voluptueux, la fine perversité inavouée qui rôdent innocemment autour des Baricades mistérieuses… »

Réminiscences anciennes

Si le goût du clavecin est réel, son influence sur la musique reste limitée. Les compositeurs y puisent un imaginaire poétique inspirant, et la possibilité de fonder une identité musicale nationale. Ce mirage ancien et le discours qu’il a suscité chez Debussy comme chez Ravel sont à l’origine de la représentation usuelle que l’on se fait du clavecin français : dépouillé du caractère théâtral et puissant qu’il revêt parfois, au profit de la délicatesse ciselée des Calotins et des Ombres errantes

Nulle trace de la musique de Rameau n’est perceptible dans l’Hommage à Rameau de Debussy, mais la sensation de plonger dans un rêve antique est tangible. Elle est provoquée par les longues lignes monodiques qui font perdre le compte du temps, par les profondes basses qui résonnent comme des cloches, et par les accords parallèles diatoniques successifs qui évitent toute direction à la phrase. 

La Suite « Du temps de Holberg »composée par Grieg, tout en étant esthétiquement bien différente de l’hommage debussyste, en est proche à la fois par son sujet – l’hommage – et la distance avec laquelle celui-ci est traité. La pièce a été composée pour le bicentenaire de la naissance de Holberg qui fut l’un des premiers dramaturges de langue danoise, entré en littérature par l’intermédiaire de traductions de pièces de Molière. Cette francophilie théâtrale est probablement à l’origine de la réminiscence française que l’on perçoit à travers la structure de cette suite. Le souvenir de la musique Baroque, présent à travers le motif pointé du Prélude et l’ornementation de l’Andante, fusionne avec le lyrisme de l’harmonie et de l’écriture mélodique de Grieg, qui tend à l’emporter sur l’écho antique.

Versailles rêvé, Versailles réinventé

Si Reynaldo Hahn a bien dirigé des concerts dévolus à Lully, composé de la musique sur les vers de Racine et consacré un opéra à Louise de La Vallière, son attrait pour les XVIIe et XVIIIe siècles semble bien davantage lié à Versailles qu’à la musique qui y fut jouée. Versailles est la quatrième série de son recueil de poèmes pour piano Le Rossignol éperdu. L’ensemble se réfère davantage au XVIIIe siècle qu’au précédent, évoquant Marie-Antoinette, les jardins, ses statues et fêtes, dans une atmosphère de promenade intime qui laisse la place à la contemplation de ce parc tant aimé par le compositeur.

« Personne dans le parc… L’arc- en-ciel, soudain, est pareil à un jet d’eau… Les arbres remuent et chuchotent. Ils sont verts, noirs, lilas. Les flaques d’eau sont incandescentes ; elles reflètent les fenêtres de la Galerie de Glaces. Splendeur claire, inimaginable magnificence. On éprouve comme une dilatation de l’être entier, tant tout est vaste, pur, mystérieux, doré ! Et vraiment le Roi était presque excusable, devant ces prodiges et dans son désir de les favoriser, d’oublier parfois les souffrances du peuple. »

« On nous dit que nos rois dépensaient sans compter […]. Mais quand ils construisaient de semblables merveilles, ne nous mettaient-ils pas notre argent de côté ? » Les premiers mots de Sacha Guitry dans Si Versailles m’était conté rejoignent ceux de Hahn. La musique de Jean Françaix est elle aussi inspirée par le lieu et les situations davantage que par Couperin. L’humour est omniprésent, depuis la première rencontre entre Françaix et Guitry, qui lui fait improviser un « enterrement de première classe », puis « un enterrement de seconde classe », et l’embauche sur une ironique révérence, jusqu’à la dernière scène du film. La musique est truffée de citations savoureuses dans tous les mouvements, particulièrement dans les Cent marches où elles se multiplient et se superposent dans un contrepoint sur Nous n’irons plus au bois qui accompagne le défilé de tous les personnages du film, depuis Louis XIV jusqu’aux poilus.

Une citation de la marseillaise clôt le mouvement, s’enchaînant avec l’éclatant arrangement pour piano que Franz Liszt a composé sur le même hymne, qui l’a accompagné depuis le projet d’une Symphonie révolutionnaire pour ses 18 ans jusqu’à cette réalisation de pleine maturité.

Pour citer ce texte : Constance Luzzati, Versailles, programme de salle version longue, récital d’Alexandre Tharaud, Paris, Philharmonie, 17 novembre 2019, URL.

version courte : https://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/recital-piano/20296-alexandre-tharaud

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