God Save the King !

Trompettes, tambours et chœurs exaltent d’une seule voix le pouvoir en place dans des œuvres qui n’ont de religieuses que les noms, et qui louent un roi bien plus terrestre que céleste. Les « monuments » composés par Haendel pour les grandes occasions déploient une musique toute entière tournée vers le registre esthétique du spectaculaire, destinée à soulever l’enthousiasme des foules.

To the crown

Georg Frederik Haendel est naturalisé par George I au début de l’année 1727, quelques mois avant son trépas. C’est donc en sujet britannique de fraîche date que Haendel entreprend la composition des Coronation Anthems, pour le couronnement de George II et de son épouse Caroline, qui se tient en octobre de la même année. Comme la majorité des œuvres liturgiques composées par Haendel en Angleterre, la louange divine sert de prétexte destiné à soutenir avec puissance le pouvoir royal. Le Te Deum de Dettingen ainsi que l’Occasional Oratorio sont, tout autant que les anthems du couronnement, des œuvres religieuses à fonction séculière : la première célèbre la victoire des troupes anglaises, menées par le roi lui-même,  sur les Français en 1743, et la seconde l’écrasement – anticipé – de la révolte jacobite en 1746. Dans les deux cas, la musique participe d’une œuvre de propagande en soulignant la gloire de situations en réalité complexes (en 1743, les Anglais ne sont pas particulièrement heureux de leur implication auprès des Hanovriens ; l’issue de la révolte des Écossais et partisans de Charles Stuart n’est pas assurée lors de la composition de l’oratorio). La musique est employée par Haendel et ses commanditaires pour son pouvoir de persuasion et sa puissance, susceptibles de modifier la perception des événements politiques et de déplacer les foules, qui s’étaient amassées pour les répétitions des Coronations Anthems, que l’on avait pourtant tenté de tenir secrètes.

Melting pot 

Haendel compose souvent en hâte, et n’hésite pas à recourir à des œuvres préexistantes, tant celles de sa propre main, que celles de ses confrères. Ses contemporains, Bach et Vivaldi en tête, n’hésitent pas davantage à prendre inspiration des œuvres d’autrui, et surtout à réemployer la musique composée pour leurs œuvres précédentes, tant profanes que sacrées, faisant migrer le répertoire d’un genre à l’autre. Haendel a toutefois employé ce procédé dans des proportions rarement égalées par ses pairs, et sa propension à l’emprunt est bien connue. Il est toujours étonnant de constater que la cohérence d’ensemble des œuvres de Haendel repose sur du matériau musical issu de provenances extrêmement variées. Le Te Deum de Dettingen est ainsi très largement tributaire de celui de Francesco Urio, qu’il avait précédemment utilisé dans les oratorios Saul et Israel in Egypt. C’est probablement lors de son séjour italien au début du siècle qu’il a pris possession d’une copie de la partition, et peut-être rencontré son auteur, dans l’entourage du cardinal Ottoboni. La musique d’Urio, pourtant antérieure d’une cinquantaine d’années, est intégrée à la texture musicale de Haendel sans dissonance stylistique. L’occasional oratorio, compilé à un moment où la santé du compositeur est défaillante, emprunte allègrement à des sources diverses : les oratorios Athalie et Israel in Egypt de l’auteur, mais aussi des extraits d’œuvres de Telemann et Stradella. Les anthems du couronnement, composées vingt ans plus tôt, usent moins de partitions antérieures : ce sont à l’inverse elles qui auront une longue postérité, tel le célèbre Zadok the priest, non seulement repris dans l’oratorio Esther, mais surtout joué lors de tous les couronnements britanniques depuis George II jusqu’à aujourd’hui.

Le grandiose en musique

Une esthétique musicale grandiose, toute de majesté vêtue, transcende et unifie ces œuvres. Le nombre y est pour beaucoup, ainsi la Norwich Gazette relate que les anthems du couronnement ont été exécutés par « 40 voix et environ 160 violons, trompettes, hautbois, timbales et basses en proportion ; outre un orgue, érigé derrière l’autel ». Le nombre ne fait cependant pas tout ; il vient renforcer une musique dont tous les aspects sont orientés vers une expression glorieuse. La rythmique, tantôt nobiliaire, pointée comme dans l’ouverture de l’Occasional Oratorio, tantôt militaire, comme dans la marche aux rythmes caractéristiques du Te Deum de Dettingen, structure et martèle des pulsations régulières. Les textures des chœurs se distinguent des grandes fugues si caractéristiques de ces oratorios pour privilégier un chant simultané, qui permet que le texte soit nettement intelligible, tout en produisant un effet de masse. La doublure fréquente de ces chœurs par l’orchestre, cuivres et timbales en tête, décuple alors leur puissance. Les passages concertants, qui font alterner un ensemble réduit avec le grand tutti, tout comme les numéros solistes, ne font que renforcer l’impression de force qui surgit lorsque l’intégralité des musiciens jouent et chantent. Les moments plus retenus, tels les arpèges inlassablement répétés au début de Zadok the priest, amplifient l’attente du grand tutti choral, dont l’énergie semble alors libératoire, tout comme la longue vocalise du Amen final augmente l’efficacité de la majestueuse cadence conclusive.

God Save the King, l’hymne national britannique, n’est pas de la plume de Haendel et pas davantage de celle de Lully, quelles que soient les légendes cocasses qui lui en ont attribué la paternité. Haendel et Lully ont en revanche en commun d’être les musiciens les plus emblématiques de nations qui ne les ont pas vus naître, hérauts d’une musique à la portée politique, stylistiquement marquée par le pouvoir qu’elle supporte. 

Pour citer ce texte : Constance Luzzati, God Save the King, note de programme pour la Philharmonie de Paris, Hervé Niquet et le Concert Spirituel, 13 juin 2021

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